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Hortense.

Ce voile est épais… et puis, que m’importe ! Le monde dira ce qu’il voudra ! Il faut bien que je vienne vous chercher ici, puisque je ne vous vois plus autre part.

Jean.

En vérité, ma chère, votre humeur s’altère de jour en jour ! Vous, jadis si enjouée, si railleuse, si frivole, permettez-moi de vous le dire, vous tournez au tragique. C’est à ne plus vous reconnaître.

Hortense.

Hélas ! je ne me reconnais pas moi-même ! Qui m’aurait dit que je serais jalouse un jour ? Ah ! qui m’aurait dit que j’aimerais ! Je suis absurde ; pardonnez-moi, Thomé. Je m’étais promis aujourd’hui d’être douce et gaie… mais votre surprise en me voyant ressemblait si fort à une déconvenue, que je n’ai pu me défendre. J’ai eu tort… ne vous irritez pas ! Soyez bon pour moi… J’ai l’esprit malade, mon ami… Je suis si malheureuse !

Jean.

Malheureuse ? En vérité, cela n’a pas le sens commun.

Hortense.

Que voulez-vous ! je vous vois si peu… Oui ; je sais ; votre temps ne vous appartient plus comme autrefois… Mais ma tête travaille dans la solitude. Je vous vois lancé dans un monde où les tentations vous assaillent, où les mauvais exemples vous enveloppent de tous côtés… et, malgré moi, je tremble ! Je me crée des chimères douloureuses, et vous prenez si peu soin de les dissiper, mon ami, que j’imagine parfois qu’il ne vous déplaît pas de me voir souffrir.