Page:Augier - Théatre complet, tome 7.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jean.

Du haut des illusions dans la vérité.

La Comtesse.

La vérité ? Il n’y a rien de vrai que nos croyances, et ne vois-tu pas que les tiennes ne sont plus à la hauteur des nôtres, quand tu places l’argent sur l’autel où nous plaçons l’honneur ?

Jean.

J’ai le culte de l’honneur aussi bien que vous, mais il n’est pas plus immuable que toutes les autres lois. Ne nous défend-il pas aujourd’hui des choses qu’il permettait à nos pères ? Eh bien, par contre, il nous en permet qu’il leur défendait. L’homme d’honneur doit suivre les variations de l’honneur, comme l’homme à la mode suit les variations de la mode, sans résistance et sans exagération.

La Comtesse.

Ô mon fils ! Qui a pu en si peu de temps détruire mon ouvrage de tant d’années ? Qui a pris sur toi plus d’influence que ta mère ? Tes amis disaient tantôt que tu pas de maîtresse ! Rien qu’à t’écouter, je sens que tu en as une, une des plus dangereuses. Il n’y a qu’une femme qui puisse faire tant de mal et si vite ! — Que Dieu lui pardonne ! La malheureuse sera assez punie si elle t’aime ; en abaissant ton idéal jusqu’à elle, elle a semé dans ton cœur son propre châtiment. Tu l’abandonneras pour descendre encore, et déjà te voici à la courtisane, c’est-à-dire au mépris de l’amour… Ne nie pas, nous t’avons entendu. — Jean, mon fils, arrache-toi à ce milieu empoisonné, il en est temps encore ! Remonte à ta vertu première, reviens te purifier près de Marie… Tu ne réponds pas !