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Marie.

Je te vois depuis quelque temps si triste, si distrait, si rêveur ! Toutes tes dernières lettres n’étaient remplies que des enchantements de ton prochain retour. Tu t’exaltais, tu t’attendrissais à la pensée des joies de la maison : tes bras impatients s’ouvraient déjà pour les saisir. Eh bien, tu les as retrouvées, ces joies si longtemps regrettées ; tu les as retrouvées telles absolument que tu les avais laissées. Tous les cœurs qui t’aimaient te chérissent comme par le passé ; le bonheur t’attendait ici, et pourtant tu n’as pas l’air heureux.

Jean.

Où prends-tu cela ? Je ne suis ni distrait, ni triste, ni rêveur. Je suis heureux, je t’aime ! mais ne trouves-tu pas comme moi que l’existence qu’on mène ici est un peu monotone dans son immuable sérénité ?

Marie.

Que te dirai-je, mon ami ? J’ai grandi dans ta famille, entourée de soins, d’amour et de respect ; ta mère m’a rendu la mienne, ton père est devenu le mien ; comment veux-tu que je me lasse d’une existence si douce et si heureuse ?

Jean.

Tu n’as jamais souhaité de voir un peu le monde ? Tu n’aimerais pas à quitter ce château, ne fût-ce que pour avoir la joie d’y revenir ?

Marie.

Je n’y avais jamais pensé.

Jean.

Quand nous serons mariés, nous voyagerons, n’est-ce pas ?