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Tenancier.

Malgré cette réponse gouailleuse, tu en es encore à valoir mieux que tes paroles, je l’espère ; mais ton héros, ton modèle, M. d’Estrigaud, a commencé aussi par valoir mieux que les siennes.

Lucien.

Et il continue, papa, je t’en réponds. C’est un très galant homme.

Tenancier.

À qui je ne confierais ni mon pays, ni mon honneur, ni ma bourse.

Lucien.

Tranchons le mot, c’est un monstre !

Tenancier.

Hélas ! non, ce n’est pas un monstre, ce n’est pas une exception : c’est un des plus brillants représentants d’une école qui s’étend tous les jours comme une lèpre, et qui finira par vicier le sang de la France, si on n’y met ordre.

Lucien.

Tu es le premier qui suspecte l’honorabilité de Raoul.

Tenancier.

C’est encore un signe du temps que personne ne songe à suspecter l’honorabilité d’un homme qui, sans patrimoine et sans profession, trouve moyen de dépenser cent cinquante mille francs par an.

Lucien.

Sans profession ? D’abord il est administrateur de quatre ou cinq grandes entreprises financières, il a là plus de quatre-vingt mille francs de traitement.