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Le Marquis.

Ah ! votre tour est venu ?

La Marquise.

Hélas ! — Et mon existence aurait pu être si belle ! Ce rôle de femme et de fille à la fois était si noble et si attachant ! Vivre au bras d’un pur gentilhomme, se consacrer à l’honneur de ses cheveux blancs, n’était-ce pas là matière à mon humeur romanesque ?

Le Marquis.

Oui, ce rôle était beau. Vous ne l’avez pas compris, ou il vous a fait peur. J’avais compté, je l’avoue, sur plus d’intelligence ou plus de courage dans une d’Auberive.

La Marquise.

Ah ! ce n’est pas le courage qui me manque. J’en dépense cent fois plus, cent fois plus de circonspection et de surveillance sur moi-même pour garder un peu de dignité dans une position fausse, que ne m’en eût coûté l’accomplissement de tous ces beaux devoirs ! Mais j’étais une enfant alors ! Je ne comprenais pas… et aujourd’hui la lumière vient trop tard.

Le Marquis.

Trop tard.

La Marquise.

Je suis encore plus effrayée qu’excédée de ma situation. Vous me connaissez : je suis malheureusement une de ces natures violentes qui ont besoin d’une exaltation quelconque pour se défendre des dernières chutes, et je n’en ai plus. Tout ce qui soutient les autres femmes me manque : la maternité, l’amour et le devoir ! Je me suis surprise aujourd’hui même sur une pente honteuse… À quoi puis-je me retenir ? Que me reste-t-il ?