Page:Augier - Théatre complet, tome 4.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Madame Bernier.

Mais, mon cher enfant, j’ai autant de souci de votre dignité que vous-même, et si quelqu’un vous a manqué…

Pierre.

Non, madame, non, malheureusement personne ne m’a manqué. Ce sont des nuances de dédain d’autant plus irritantes qu’elles sont négatives et que je suis même ridicule à m’en plaindre. Ici, quand vous recevez, dans le monde où vous me conduisez, partout, on me montre, à cause de vous, une politesse de seconde main, au fond de laquelle je sens parfaitement qu’on me tient pour non avenu.

Madame Bernier.

L’accueil dont vous vous plaignez est tout naturel ; vous entrez dans un monde qui ne vous connaît pas et auprès duquel votre seule recommandation jusqu’à présent est votre alliance avec nous.

Pierre.

Il y a autre chose… et vous m’entendez bien.

Madame Bernier.

Et quand même ? ne fallait-il pas vous attendre à rencontrer un peu d’envie et beaucoup de réserve ? Votre avènement est trop récent pour être déjà à l’état de fait accompli. On se tient sur la défensive ; on vous attend, et c’est tout simple. Parce que vous étiez pauvre hier, êtes-vous en droit d’exiger qu’on se jette à votre tête aujourd’hui ? Car votre prétention n’a pas d’autre fondement, remarquez-le bien. Laissez faire au temps, mon cher Pierre, et ne brouillez pas les cartes. Ne vous brouillez pas surtout avec nos amis. Le baron est un des plus anciens et des plus dévoués ; il me rend mille services ;