Page:Augier - Théatre complet, tome 4.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il n’est pas besoin d’en faire voir un mauvais succès à la fin pour avertir qu’il ne les faut pas imiter. »

Telle est, d’ailleurs, la doctrine de la critique tout entière. Elle a unanimement affirmé la moralité des Lionnes pauvres. Les objections n’ont porté que sur des détails d’exécution ; mais quelques-unes sont si considérables que nous nous croyons en demeure, par déférence même pour la presse, de lui rendre compte des motifs qui nous ont déterminés, sans prétendre par là faire notre apologie.

On nous a demandé pourquoi nous avons placé l’action dans un milieu de petite bourgeoisie et non dans le grand monde ; pourquoi nous avons fait de Pommeau un vieillard, et non un mari dans la force de l’âge ; pourquoi enfin, nous avons pris Séraphine après sa chute complète, au lieu de montrer par quelle pente on arrivait dans cet abîme. Toutes ces combinaisons se sont d’abord présentées à notre esprit et peut-être aurions-nous mieux fait de nous en tenir à la première idée, qui est souvent la meilleure ; quoiqu’il en soit, voici pour quelles raisons nous l’avons abandonnée :

La peinture de la dépravation graduelle de Séraphine nous a paru aussi dangereuse que tentante. Nous avons craint que le public ne se fâchât tout rouge à la transition de l’adultère simple à l’adultère payé. Cette peinture ne présentant, d’ailleurs, qu’un intérêt psychologique, il nous a semblé que ce côté de notre sujet pouvait être traité suffisamment en récit, et nous l’avons placé dans la bouche de Bordognon, le théoricien de la pièce. Une donnée aussi scabreuse ne pouvait passer que par l’émotion ; et l’émotion ne pouvait être obtenue que par la situation du mari ; c’est donc là, surtout, que nous avons cherché la pièce.

Dès lors, il s’agissait de choisir le milieu où cette situation serait le plus poignante. Pommeau, homme du grand monde, est évidemment moins dramatique que Pommeau petit bourgeois ; il n’y a plus entre lui et sa femme cette promiscuité de l’argent, qui le rend complice à son insu des hontes de son ménage, en l’abusant sur la provenance même du pain qu’il mange. En outre, il nous a semblé que si nous rétrécissions par là notre cadre, nous élargissions notre idée en montrant cette plaie du luxe, dans les régions