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chuchotements de la société, à formuler le sentiment général encore vague, à diriger l’observation confuse du plus grand nombre. Le spectateur n’applaudit que les types et les situations qu’il reconnaît ; ceux qu’il ne reconnaît pas, il les nie et les siffle.

Par conséquent dans aucun cas il n’y a révélation.

Enfin quel danger voient-ils à ce que le théâtre condense les idées qui flottent dans l’air ? Une maladie n’est-elle pas à moitié guérie quand on en a précisé le siège, les causes et les résultats ? Écoutez ceci : Nicolas Gogol a écrit une comédie contre la vénalité de l’administration russe : la censure de Saint-Pétersbourg l’avait condamnée sous prétexte aussi qu’il est dangereux de révéler…, etc. L’empereur Nicolas en ordonna la représentation sur tous les théâtres de l’empire, estimant utile de signaler cet abus à l’animadversion des honnêtes gens.

Et, à ce propos, il est bon de noter que les empereurs ont l’esprit plus libéral que les censeurs. Sa Majesté Napoléon III apprenant, au sujet des Lionnes pauvres, qu’on faisait de la censure littéraire, a formellement condamné tout empiétement de ce genre. C’est un point acquis désormais ; en fait de littérature, les censeurs n’auront, selon le joli mot du roi Charles X, que leur place au parterre.

Mais il était temps de les y remettre ! Voyez comme tout s’enchaîne et à quelles aberrations peut conduire une première erreur ! Voilà une commission chargée d’empêcher le théâtre d’offenser la pudeur de l’auditoire et de parler des affaires politiques, en un mot de lui faire respecter la décence et l’ordre public : ce sont là des attributions simples et nettes. Pour avoir mis le pied hors de ce cercle étroit, ils ne savent plus où s’arrêter ; comme protecteurs de la décence, ils se sont immiscés dans les questions de morale et de philosophie ; comme protecteurs de l’ordre public, ils ne veulent plus qu’on siffle dans les rangs ; ils se croient responsables de la chute des pièces, et de cette responsabilité se font un droit de collaboration, revisant le style, rayant certains mots qui ont encouru leur disgrâce, donnant des conseils dans l’intérêt de l’ouvrage, imposant des dénouements de leur cru… et quels dénouements ! N’exigeaient-ils pas que, dans les Lionnes