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ficile à tenir. Mais l’inconvénient d’empêcher le bien étant égal à l’avantage d’empêcher le mal, je voudrais que dans le doute la commission de censure s’abstînt, d’autant plus qu’il y a derrière elle une censure bien plus sûre que la sienne, celle du public.

Ce n’est pas ce que font ces messieurs ; et de bonne foi, sont-ils en position de le faire ? D’une part, ils sont tout puissants, grâce aux règles inflexibles de l’administration ; de l’autre, ils ont, et c’est justice, une responsabilité égale à leurs pouvoirs. En cas d’erreur, on leur applique l’axiome de droit : Imperitia pro culpa habetur. Aussi, comment voulez-vous qu’ils ne se décident pas pour la compression dans tous les cas ambigus ? À défaut d’autre certitude, ils ont au moins celle qu’une pièce supprimée ne fera pas de bruit. Quant à moi, je les plains de tout mon cœur : ces pauvres juges perplexes me font l’effet de sentinelles dans le brouillard : dès qu’une question un peu délicate les approche, ils crient au large, et il n’est amis ni ennemis qui tiennent ; ils tirent dessus avec l’intrépidité de la peur.

Mais, bien qu’excusable ou plutôt compréhensible jusqu’à un certain point, cette panique n’en va pas moins à supprimer complétement la comédie de mœurs. Je les entends qui se récrient : « Ouvrons leur catéchisme ! » en tête, je trouve écrit : « Il est dangereux de révéler à la société l’existence de ses plaies secrètes. »

D’abord qu’est-ce, à l’avis de ces messieurs, qu’une plaie secrète de la société, sinon une nouvelle forme des vices éternels, c’est-à-dire le domaine légitime de la comédie de mœurs ? De quoi veulent-ils donc qu’elle parle ? des formes banales et ressassées ? Autant la condamner franchement à se taire.

Ensuite qu’entendent-ils par cette révélation ?

Qu’on dise que la Gazette des Tribunaux, par son compte rendu des procès de cour d’assises, fait faire un grand pas à la science du vol en vulgarisant des procédés ingénieux à l’usage des adeptes, c’est possible ; encore pourrait-on objecter qu’elle met du même coup les honnêtes gens en garde ; mais que le théâtre apprenne quelque chose au public, non ! Sa force, au contraire, consiste à être l’écho retentissant des