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Stéphane.

Un enfant fera-t-il crouler tout mon bonheur ?

Gabrielle.

Je ne souillerai pas l’héritage d’honneur
Que ma mère a transmis à toute sa famille,
Et que je dois transmettre à mon tour à ma fille.
Quand son père travaille et consume ses jours
À lui faire un destin paisible dans son cours,
Moi, femme, je ne puis à la moisson plus ample,
Je ne puis apporter pour ma part que l’exemple ;
Mais je l’apporterai quoi qu’il coûte à mon cœur,
Et de ce grand combat il sortira vainqueur,
Pour qu’à sa mère un jour ma fille se soutienne,
Comme je me soutiens maintenant à la mienne.
Si je vous ai laissé voir que je vous aimais,
Oubliez ce moment de faiblesse.

Stéphane.

Oubliez ce moment de faiblesse.Jamais !
Oublier ce moment ! Est-ce que c’est possible
Avant que je ne sois une cendre insensible ?
Vous parlez de remords ! Mais moi, supposez-vous
Que je serre la main sans honte à votre époux,
Et que son amitié ne soit pas un supplice
Dont malgré mon bonheur ma loyauté frémisse ?
Mais dussé-je à moi-même être un lâche odieux,
Je ne l’oublierai pas, ce moment radieux.

Gabrielle.

Eh bien ! oui, j’y consens, gardons-en la mémoire,
Et doublons le danger pour doubler la victoire.
Je vous aime, Stéphane, et ne m’en dédis pas ;
Oui, c’est un être cher que repoussent mes bras !
Séparons-nous et, sûr du cœur de votre amie,