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Dans de honteux débats vous soyez entraînés ;
Qu’enfin cette amitié, qui semble inébranlable,
Tombe du premier choc ainsi qu’un mur de sable,
Et que vous demeuriez tous les deux ennemis
Du dernier compagnon qui vous était permis.

Paris.

Que t’avons-nous donc fait ?

Cléon.

Que t’avons-nous donc fait ? Oui, c’est une vengeance.

Clinias.

Tu l’as dit. Vous avez surpris mon innocence
Au seuil du bon chemin que déjà je suivais,
Et m’avez sans respect poussé dans le mauvais.
Grâce à vous, ma fierté native s’est flétrie ;
Vous l’avez froidement tournée en raillerie,
Et mon honneur, tremblant sous votre cuisant fouet,
À force de se taire, est devenu muet !
Grâce à vous, la débauche, effroyable maîtresse
Qui vieillit promptement tous ceux qu’elle caresse,
Et ne les lâche plus quand elle les a pris,
Enveloppe mon cœur de ses mille replis,
Et sa séduction, par le dégoût suivie,
Me rend enfin la mort meilleure que la vie.
C’est pourquoi je me venge autant que je le puis.
Vous avez fait de moi le méchant que je suis ;
Ne vous plaignez donc pas si, dans ma gratitude,
Je vous veux, en mourant, léguer la solitude.

Paris.

Quel serpent avons-nous réchauffé dans nos seins !
Tu ne jouiras pas de tes méchants desseins ;
Nous refusons ton legs… non pas qu’on se soucie
De ta haine impuissante et de ta prophétie,