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Paris.

Certes ! — Nous possédons tous trois ce bonheur-là.
L’existence superbe et douce que voilà !
Comme, à l’écart des sots, et quoi qu’en ait l’envie,
De festins en festins s’écoule notre vie !
Pas de parents gênants ; personne à ménager ;
De l’or, et l’appétit qu’il faut pour le manger ;
Une amitié sans fin et des amours sans suite…
Qu’avait donc à pleurer le bonhomme Héraclite ?

Clinias.

C’est la centième fois que tu tiens ce propos,
Et je vais y répondre une fois en deux mots :
Cette existence douce et superbe m’ennuie ;
Je la trouve assommante ; et, pour changer de vie,
Je vais me tuer.

Paris et Cléon.

Je vais me tuer.Hein ?

Clinias.

Je vais me tuer. Hein ? C’est pour vous l’annoncer
Que ce matin chez moi je vous ai fait passer.

Cléon.

Hélas ! que dis-tu là ?

Clinias.

Hélas ! que dis-tu là ? Je dis que la ciguë
Donne une mort paisible et sans douleur aiguë,
Et que je veux la prendre après souper, ce soir.

Cléon.

À ce fatal projet il faut au moins surseoir.

Clinias.

Fatal projet, pourquoi ? La mort n’est effroyable
Que lorsqu’elle nous prend quelque bien regrettable ;