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nent, le même jour, manger à la même place. — Enfin, vous y voilà. C’est au bord de cette eau sombre et croupissante, dont les sinuosités égarent vos yeux qui vont se perdre au fond d’un labyrinthe où règne une complète obscurité. Les roseaux se penchent comme pour se toucher d’une rive à l’autre ; les arbres séculaires qui les dominent, revêtus de lichens funèbres, s’agitent à peine au souffle d’un air suffocant ; la grenouille alarmée rentre sous l’eau, le crocodile montre sa tête à la surface, sans doute pour reconnaître si les oiseaux sont arrivés, et le rusé couguar s’avance sournoisement vers l’un des Ibis qu’il croit déjà tenir dans son repaire. Regardez bien : sous le demi-jour, ne voyez-vous pas briller quelque chose ? C’est le blanc plumage des oiseaux qui s’en vont se promenant de droite et de gauche, comme autant de spectres. Le terrible claquement de leurs mandibules vous apprend quel affreux ravage ils commettent parmi le peuple épouvanté des eaux, tandis que le son de leurs pieds, semblable à un glas, apporte à l’âme un sentiment de terreur. Remuez, doucement ou non, faites un seul mouvement, et, pour cette fois, vos observations sont finies ; car depuis longtemps vous êtes découvert : un vieux mâle vous a remarqué. Est-ce à l’aide de son oreille ou de ses yeux ? Je ne sais ; mais, au moindre bruit sous vos pas, sa voix rauque donne l’alarme, et tous ils partent, abattant les roseaux et les petites branches au travers desquels leurs ailes puissantes se frayent un passage.

Parlez-moi de la stupide indifférence de l’Ibis des