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Quand je me reporte à ces temps, quand je rappelle à mon esprit la grandeur et la beauté de ces rivages solitaires, quand je me représente les cimes épaisses et ondoyantes des forêts ombrageant la pente des montagnes, s’inclinant au bord des eaux, et vierges encore de la hache du bûcheron ; quand je sais ce qu’ont versé de leur sang nombre de dignes Virginiens pour conquérir la paisible navigation de cette rivière ; quand je vois que là ne se rencontre plus un seul homme de la race primitive, que là aussi, ont cessé d’exister les innombrables troupeaux d’élans, de daims et de buffles, qui paissaient autrefois sur ces montagnes et dans ces vallées, traçant d’eux-mêmes et pour leurs propres besoins, de larges sentiers vers chaque source salée ; quand je réfléchis que toute cette immense partie de notre Union, au lieu d’en être encore à l’état de nature, est maintenant plus ou moins couverte de villages, de fermes, de villes même, où l’on n’entend plus que le son aigu du marteau et le bruit assourdissant des machines ; que les bois s’en vont, disparaissant grand train, le jour, sous la cognée, et la nuit dévorés par le feu ; que des centaines de bateaux à vapeur sillonnent en tous sens et dans toute sa longueur le cours de la majestueuse rivière, forçant le commerce à prendre racine et à prospérer sur chaque point ; quand je vois, enfin, le trop-plein de la population de l’Europe s’acharnant avec nous à la destruction de ces malheureuses forêts, pour nous aider à transplanter la civilisation jusqu’au fond de leurs plus sombres retraites ; et quand je me dis que, pour tous ces change-