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gémissements qui, non loin de moi, annonçaient un homme à l’agonie. Une sueur froide me perçait de chaque pore ; mais enfin je me dis que, quoique seul, j’étais bien armé, et qu’après tout je n’avais qu’à m’en remettre à la protection de la Providence.

L’humanité aussi, de sa douce voix, murmurait à mon oreille, que si je n’étais pas surpris et mis hors d’état de m’employer, je pourrais porter secours à quelque être souffrant, peut-être même contribuer à sauver une précieuse vie. Fort de cette pensée, je poussai mon canot sur le rivage, et le saisissant par la proue, d’un seul élan je le tirai bien haut parmi les herbes.

Les gémissements continuaient à me poursuivre, comme un glas funèbre, pendant que j’apprêtais et armais mon fusil. J’étais bien décidé à tuer le premier individu qui se lèverait d’entre les roseaux. En avançant avec précaution, je vis sortir au-dessus des touffes sauvages une main qui s’agitait d’une façon suppliante. J’ajustai environ un pied au-dessous ; mais au même instant parurent, en se dressant convulsivement, la tête et la poitrine d’un homme tout ensanglanté, et j’entendis une voix rauque, mais défaillante, qui me demandait assistance et merci ; puis le malheureux retomba sur la terre, et il y eut un silence de mort. Moi, je surveillais d’un œil attentif chaque objet aux alentours, et mes oreilles étaient ouvertes au moindre bruit ; car ma situation, dans ce moment, me paraissait l’une des plus critiques de ma vie. Cependant les grenouilles coassaient toujours dans le marais.