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dai à M. Greenwood s’il consentirait à me céder le noble oiseau, et ce gentleman, avec une obligeance parfaite, s’empressa d’acquiescer à mon désir, s’en remettant même complétement à moi pour le prix, que je fixai à notre mutuelle satisfaction. Voici de quelle manière avait été fait ce royal prisonnier : L’homme de qui je l’ai acheté, me dit le savant M. Greenwood, l’avait apporté sur le haut de sa charrette, dans la même cage où il est encore, et pendant que je le marchandais, il me raconta qu’il avait été pris dans une chausse-trape à renards, sur les montagnes Blanches du New-Hampshire. Un matin, la trappe avait disparu ; mais en cherchant bien, on la retrouva à plus d’un mille du lieu où elle avait été tendue. L’aigle n’y tenait que par l’une de ses griffes. Il avait pu s’échapper encore, en l’entraînant, plus de cent pas au travers des bois. Cependant on finit, avec bien du mal, par s’en emparer ; il y avait de cela déjà plusieurs jours.

L’aigle fut immédiatement transporté chez moi, et je l’affublai d’une couverture pour le sauver au moins, dans son malheur, des regards insultants de la foule. Je plaçai la cage de façon à ce que je pusse avoir une bonne vue du captif, et je dois confesser que, tandis que je considérais ses yeux remplis d’un superbe dédain, je ne me sentais peut-être pas pénétré, pour lui, de tous les sentiments généreux qu’il aurait dû m’inspirer. Cependant, j’avais presque envie parfois de le rendre à la liberté, pour qu’il pût revoler à ses montagnes natales. Que j’aurais eu de plaisir à le voir déployer ses vastes ailes et prendre son essor, là-haut,