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avait compris mon danger. L’Indien échangea avec moi un dernier coup d’œil.

Les deux garnements s’en étaient tellement donné à boire et à manger, que je les regardais déjà comme hors de combat ; et les fréquentes visites des sales lèvres de la mégère à la bouteille de whisky devaient bientôt, sans doute, la réduire au même état. Qu’on juge de ma stupeur, quand je vis ce démon incarné se saisir d’un grand couteau de cuisine et s’en aller droit à la meule pour l’aiguiser. Je la vis verser de l’eau sur la machine en mouvement, et s’acquitter avec tout le soin et les précautions voulues de sa dangereuse opération. Une sueur froide m’inondait tout le corps, malgré ma ferme résolution de me défendre jusqu’à l’extrémité. Son travail fini, elle se dirigea vers ses fils, qui chancelaient sur leurs jambes. — Voici, leur dit-elle, pour lui faire promptement son affaire ; allons ! mes garçons, expédiez-moi çà… et vite à la montre !

Je me retournai, armai tout doucement mon fusil, d’un léger coup fis signe à mon chien, et me tins prêt à m’élancer et à brûler la cervelle au premier qui essayerait d’attenter à ma vie. Déjà je touchais à l’instant fatal, et cette nuit eût peut-être été ma dernière en ce monde ; mais la Providence veillait. C’en était fait : l’infernale sorcière s’avançait en silence, pas à pas, pour prendre son temps et mieux me frapper, pendant que ses fils seraient engagés avec l’Indien ; plusieurs fois je fus sur le point de bondir et de l’étendre sur le carreau… mais une autre punition l’attendait. Tout à coup la porte s’ouvre, et je vois entrer