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qu’à ce moment il se frappait la poitrine, s’arrachait les cheveux, et que si ce n’eût été la piété dont ses parents l’avaient nourri dès ses jeunes années, et qui lui était devenue une habitude, il aurait maudit son existence. Affamé, n’en pouvant plus, il s’étendit sur le sol et mangea des racines et des herbes qui poussaient autour de lui. Cette nuit ne fut qu’agonie et qu’épouvante. « Je connaissais, me disait-il, toute l’horreur de ma situation ; je savais très bien qu’à moins que le Tout-Puissant ne vînt à mon secours, il me faudrait périr dans ces bois inhabités ; je savais que j’avais fait plus de cinquante milles, sans avoir rencontré un filet d’eau pour y étancher ma soif, ou du moins calmer la chaleur brûlante de mes lèvres desséchées et de mes yeux injectés de sang ; je savais que, si je ne trouvais pas quelque ruisseau, c’en était fait de moi, car je n’avais pour toute arme que ma hache ; et bien que des daims et des ours vinssent à passer de temps en temps à quelques pas et même à quelques pieds de moi, je n’en pouvais pas tuer un seul. Ainsi, au sein de l’abondance, impossible de me procurer même une bouchée, pour apaiser les tortures de mon estomac. Ah ! monsieur, que Dieu vous préserve de ressentir jamais ce que j’éprouvai durant ces mortelles heures ! »

Personne ne peut se faire une idée de sa situation pendant les quelques jours qui suivirent. Lui-même m’assurait, en me racontant cette triste aventure, qu’il avait perdu tout souvenir de ce qui lui était arrivé. « Enfin, continua-t-il, Dieu sans doute me prit en pitié ; car un jour que je courais comme un insensé à travers