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On le rencontre toujours seul par les routes et les sentiers, et si l’un des grands troupeaux de vaches rouges d’Auvergne descend de la montagne, et passe près de lui, les bêtes s’écartent et se serrent les unes contre les autres pour ne pas le heurter, comme si elles le reconnaissaient pour un pâtre de tous les temps. Souvent on le trouve assis sur une pierre, à l’abri d’une haie. Dans l’une des poches de sa veste on aperçoit un livre, et il garde sa main fermée dans l’autre poche.

Il lit pendant toute la journée du dimanche. Il lit aux champs pendant l’heure du repos d’après-midi. Il lit aussi lorsque la batteuse cesse de ronfler pour permettre aux hommes de mouiller leur gosier, tout rempli de la poussière du blé. Il parle d’une façon calme, avec des mots précis et espacés, et sa voix est pleine et sonore comme un instrument de musique bien accordé. Sa gaieté est un peu timide ; mais son rire est joyeux comme celui d’un enfant.

Les soirs d’été, il se repose devant sa maison, longue et basse, et qui est vieille de plus de cent ans. Il s’assied sur l’un des troncs d’arbres que l’on coupe à chaque saison pour le chauffage d’hiver. Il reste là longtemps, les coudes sur ses genoux, les mains bouchant ses oreilles, comme s’il ne voulait entendre que des voix connues de lui seul. Rien ne le dérange de cette pose qui semble l’éloigner de tous, ni les enfants qui tournent autour de lui en se poursuivant avec des cris,