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comment on lui avait enlevé un sein ; celle-ci découvrait un ventre partagé par une longue raie rouge, et une petite femme mince et noire raconta qu’elle s’était réveillée avant la fin, et qu’il avait fallu quatre hommes pour la tenir pendant qu’on la recousait.

Grand’mère n’avait pas l’air de les entendre ; elle-se tenait adossée contre ses oreillers et, de temps en temps, elle levait la main comme pour chasser une mouche. Puis la nuit revint ; les infirmières s’en allèrent après avoir éteint toutes les lumières, il ne resta plus qu’une petite flamme qui éclairait la grande table où s’étalaient des linges et des instruments bizarres.

Vers le milieu de la nuit, la surveillante vint faire sa ronde ; elle marchait sans bruit, et la lanterne qu’elle balançait au dessus de chaque lit avait l’air d’un gros œil curieux.

Grand’mère se leva quand la lanterne eut disparu ; elle s’approcha de la fenêtre et cogna au carreau avec son doigt recourbé. Elle cognait tout doucement et elle faisait des signes à quelqu’un dans la cour.

Je regardai de ce côté, la cour était toute blanche de neige, et on ne voyait que des arbres noirs et tordus qui allongeaient leurs branches vers nous.

Maintenant grand’mère cognait plus fort ; elle se serrait contre les vitres, comme si elle espérait qu’on allait lui ouvrir du dehors. Puis sa voix claire et douce monta comme une plainte qui traîne. Elle dit : « Y a des loups ! »