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vendre. Sa fille avait beau lui dire qu’à Paris il n’y avait pas d’ânes, elle n’avait pas voulu s’en séparer, et il avait bien fallu l’amener. On l’avait mis chez un marchand de lait qui le soignait, et où elle pouvait le voir chaque jour.

À force de s’ennuyer, voilà qu’elle avait senti davantage son mal ; aussitôt sa fille l’avait amenée à l’hôpital. Le médecin avait dit qu’une opération pourrait la guérir, mais elle aimait mieux garder son mal jusqu’à la fin de sa vie, plutôt que de se faire opérer.

Sa fille venait souvent la voir. C’était une grande femme qui avait le nez pointu et le regard dur. Elle souriait à toutes les malades en traversant la salle, et tout le monde pouvait entendre les paroles d’encouragement qu’elle prodiguait à sa mère.

Ce jour-là, elle s’arrêta longtemps à causer à la surveillante. Grand’mère la regardait d’un air craintif et respectueux. Elle avait perdu son air joyeux du matin, et elle avait l’air d’une petite fille qui s’attend à être grondée.

Maintenant sa fille s’avançait en distribuant des oranges aux malades, et quand elle fut près de sa mère, elle l’accabla de tendresses et de baisers ; elle disait à haute voix :

— Je veux que tu sois raisonnable et que tu te laisses opérer.

Grand’mère la suppliait tout bas de l’emmener, mais la fille répondait : « Non, non, je veux que tu guérisses ». Elle prenait les malades à témoin,