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44 MARGUERITE AUDOUX

Le père menaçait et suppliait pour avoir son fils, et rien ne pouvait distraire' l'enfant qui pleurait et voulait son père !

Vers le commencement du mars, le docteur m’avertit que le malade ne verrait pas l'été.

Il vécut encore deux mois avec de la fièvre et du délire. Il appelait son fils à grands cris, et quoique l'enfant fût souvent assez éloigné pour que les cris ne lui parvinssent pas, il semblait les entendre, il échappait a toutes les mains pour accourir vers la chambre de son père.

Un matin, mon mari me fit signe d'approcher tout près. Il regardait la porte avec inquiétude, et quand je fus penchée sur lui, il me dit dans l'oreille : « Il y a des nègres derrière la porte, ils viennent chercher mon petit garçon, donne leur des sous pour qu'ils s'en aillent ! »

Malgré moi, je demandais: « Des nègres ? »

– Oui ! Oui ! me dit-il, tiens, les voilà, maintenant qui viennent cracher sur mon lit !

Je haussais la vois comme pour chasser des mendiants, et jusqu'au dernier jour, il ne cessa de crier que des nègres venaient cracher sur son lit. Pour le calmer, il me fallait jeter de grosses poignées de sous vers la porte.

Une minute avant de mourir, il se dressa en criant : « Je veux mon fils ! » Puis il arrondit les bras comme s'il tenait l'enfant, et quand tout fut fini, son visage garda l'expression d'un sourire.

En rentrant du cimetière, il me fallut repoudre à