Page:Audoux - Le Chaland de la reine, 1910.pdf/44

Cette page n’a pas encore été corrigée

42 MARGUERITE AUDOUX

croire ! II disait : « Vous devez vous tromper, je suis sûr que c'est encore une fille… »

Il entra dans ma chambre à pas comptés et, sans un regard pour moi, il alla droit au berceau.

Il prit le petit enfant au bout de ses doigts comme un objet précieux. Il l'approchait et le reculait de son visage ; il riait et je voyais qu'il avait envie de pleurer. Enfin il se tourna vers moi et dit : « Je suis bien heureux ! »

Je crois qu'il aimait bien tout de même ses petites filles, mais elles ne l'intéressaient pas, tandis qu'il lui semblait que son fils était à lui tout seul. Il l'avait tant désiré ! Devant nos amis, il disait très haut : « C'est mon fils ». Mais quand il était tout seul près du berceau, il disait : « C'est non petit garçon ! »

Aussitôt que l'enfant fut sevré, il s'occupa lui-même des soins à lui donner. Il le baignait et l'habillait avec adresse. Il lui préparait aussi ses légers repas. Puis ce furent des promenades sans fin. Le petit n'aimait que son père, et c'est à peine si j'osais lui donner une caresse, tant j'avais peur de contrarier mon mari. Il me disait souvent : « Embrasse donc tes tilles et laisse-moi mon fils ».

Pendant la nuit il w levait pour regarder dormir l’enfant. Un jour que j'avais appelé le docteur pour un bobo qu'avait ma petite Lise, il fut frappé de l'extrême maigreur de mon mari ; il l'obligea à se laisser ausculter. À peine avait-il appuyé son