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Mère et Fille 31

— Je me marierai, parce que je ne veux plus rester avec toi.

Marie demanda, en avançant son visage près de celui de sa mère :

— Pourquoi ? Qu'as-tu à me reprocher ?

Beaucoup de choses.

— Dis-les, maman.

— Tu es plus intelligente et plus savante que moi. (Marie ouvrit de grands yeux). Tu restes des heures à rêver à des choses que tu ne dis pas, et quand nos amis viennent nous voir, tu parles toujours avec les hommes, et je ne comprends rien à ce que vous dites. C'est toi qui choisis mes livres, et si je veux lire les tiens, ils parlent de choses qui me sont inconnues. C’est toi qui décides de la couleur de mes robes et de la forme de mes chapeaux. C’est toi qui gagnes l'argent qui me fait vivre, et si je commande notre domestique, elle n'obéit qu'après avoir pris ton avis.

« Tout est changé ici. C’est toi qui es devenue la mère et moi la petite fille. J'ai peur d’être grondée quand je parle ; et, quoique tu sois douce et bonne, je crains ton regard sur moi. »

Un long silence se fit. Marie songeait, une main sur les touches du piano.

Mme Pélissand se mit à pleurer tout bas, puis elle dit timidement à sa fille :

— Permets-moi d'épouser M. Tardi.