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28 MARGUERITE AUDOUX

À un moment, Marie la vit si nettement faire le mouvement des gens qui vont parler qu'elle s'arrêta de jouer pour demander :

— Voyons, maman, qu'as-tu ?

Les yeux de Mme Pélissand chavirèrent. Elle lança les mains en avant comme pour repousser la question, elle se les a de sa chaise et se rassit au même instant, et, tout d'un coup, en regardant sa fille en face, elle dit très vite :

— Ce que j'ai ? Je veux me remarier.

Marie crut à une plaisanterie. Elle se mit a rire en se renversant en arrière ; mais Mme Pélissand la saisit par le bras, en disant d'une voix rêche :

— Je ne vois pas qu'il y ait de quoi rire.

Marie s'arrêta de rire comme elle s'était arrêtée de jouer. Elle comprit que sa mère disait vrai, et une grande stupeur tomba sur elle. Elle regarda encore sa mère. Elle vit ses cheveux blancs qui essayaient de bouffer aux tempes ; elle vit son visage bouffi, ses épaules affaissées, et ses mains décharnées ; et elle ne put s'empêcher de dire :

— Mais, maman, tu as cinquante-huit ans.

— Oui, dit Mme Pélissand. Et après ?

Après ? Après ? Marie ne savait plus quoi dire ; des larmes vinrent à ses yeux ; pourtant elle dit encore :

— Et moi, maman ?

Mme Pélissand recula un peu sa chaise ; son regard se fit dur ; et, comme si elle se vengeait d'une méchanceté, elle répondit :