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Puis le grand malheur était arrivé.

Un soir, après l’école, il n’avait pas trouvé son père au bord du canal. Le patron du chaland lui avait dit : « Va-t-en chez vous, mon petit, ton père ne reviendra plus ici. » Et deux jours après, la tante Maria était venue le prendre pour l’emmener dans ce pays des Ardennes. Il n’aimait pas sa tante Maria, qui le battait pour tout et pour rien, et qui l’empêchait d’aller voir les chalands qu’il aimait tant. Tous ces chalands ressemblaient à ceux du canal Saint-Martin : seulement, ici, ils étaient tirés par des chevaux, tandis qu’à Paris c’étaient des hommes qui les tiraient pour leur faire passer l’écluse. On les voyait toujours attelés par deux ou par quatre, l’un derrière l’autre ; leurs épaules étaient entourées d’une large sangle qui ressemblait à un licol, et ils tiraient comme des chevaux, en tendant le cou et en faisant de tout petits pas.

Ici, le fleuve coulait entre deux montagnes bien plus hautes que les maisons de Paris ; l’eau en était si claire qu’elle reflétait les montagnes jusqu’au ciel. De l’autre côté du fleuve, trois grosses roches sortaient de la montagne. Les gens du pays les appelaient les « Dames du Fleuve ». Elles n’avaient pas de tête, mais on voyait bien tout de même qu’elles avalent été des dames, parce que leurs robes à gros plis s’étalaient encore jusque sur le pré.

Michel était assis en face d’elles depuis un moment, lorsqu’il entendit dans le lointain un