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que, dès l’enfance, un accident l’avait privée du libre usage de ses jambes, ses parents l’avaient installée à la caisse du petit café qu’ils tenaient dans une rue tranquille, du côté de Passy. Douce et jolie, elle avait reçu jusqu’à trente ans les hommages des clients sans qu’aucun d’eux eût jamais songé à la demander en mariage. Par les longues soirées d’hiver, entre un vieux garçon de salle et quelques joueurs de manille, elle avait passé des jours de mortel ennui, jusqu’au jour où le vieux garçon étant mort, un jeune était venu le remplacer. Celui-là, craintif et doux, seul dans la vie depuis toujours, avait fait tous les métiers et accepté tous les reproches. Mais dans ce petit café, sous les ordres de cette jeune patronne qui ne le rudoyait jamais, il n’avait pas tardé à faire montre de qualités surprenantes d’intelligence et de dévouement.

Entre ces deux êtres de même douceur et du même âge, l’amour, très vite, avait tendu ses liens. Tout d’abord, la jeune fille avait lutté contre cet amour, sachant bien que ses parents n’accepteraient pas facilement un mariage entre elle et leur garçon de salle. Cou-