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nous causions à cœur ouvert, et les nuits nous semblaient moins longues.

Je n’avais pas grand’chose à dire sur moi-même.

Mais Mme Dalignac me confiait ses soucis et ses craintes.

La maladie de son mari ne l’inquiétait pas trop. Elle était persuadée que quelques mois de repos à la campagne le remettraient vite, mais elle ne savait comment faire pour lui assurer ce repos. La plupart des clientes faisaient attendre leurs paiements, et, depuis que le patron ne travaillait plus, l’argent qui rentrait suffisait tout juste à la vie de chaque jour et à la paye des ouvrières.

Elle s’intéressait à mon avenir aussi. Elle pensait qu’il ne me faudrait pas longtemps pour savoir faire les robes aussi bien que la meilleure ouvrière.

— C’est un joli métier, disait-elle, et bien des femmes savent en tirer parti.

Tandis qu’elle parlait, je pensais comme elle, et je désirais vivement devenir une couturière habile. Mais aussitôt qu’elle se taisait, le métier m’apparaissait terne et plein d’ennuis. J’oubliais les robes de toutes couleurs et de toutes formes que je voyais partir avec regret, tant j’avais de plaisir à les regarder. J’oubliais même le visage si intelligent et comme illuminé de Mme Dalignac, lorsqu’elle composait ses modèles, et je ne me souvenais plus que de son tourment devant les reproches des clientes, du mécontentement continuel de Bouledogue, et de notre peine à toutes.