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— Les brodeuses qui savent leur métier ne chôment pas en ce moment.

Celle qui vint essuya soigneusement la machine, la fit rouler à vide pendant un instant, fixa timidement le prix de sa journée et travailla dans la perfection jusqu’au soir.

Le patron nous faisait des petits signes joyeux, et lorsque la brodeuse fut partie, il ouvrit tous ses doigts en éventail pour nous dire :

— C’est une fameuse ouvrière.

On était au samedi. Pendant que Mme  Dalignac faisait la paye, chacune disait son mot sur la nouvelle venue.

Bergeounette la jugeait solide et de bonne santé. Bouledogue avait remarqué que ses effets étaient très propres, et Duretour enviait sa haute taille et son teint coloré.

Mme  Dalignac paraissait elle-même si contente que je n’osais pas l’inquiéter en disant que la brodeuse avait le regard incertain, comme les alcooliques.

Les trois premiers jours, tout alla bien, mais, le quatrième, la brodeuse apporta un litre de vin enveloppé dans du papier. L’après-midi, elle en apporta un autre qu’elle but en un rien de temps. Et lorsque le patron lui fit une remarque à ce sujet, elle répondit :

— Quand on travaille dur, on a soif.

Bientôt ses deux litres ne suffirent plus et à l’heure du goûter, elle descendit chez le marchand de vin.