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Pourtant, lorsque Roberte se mit à chanter, il y eut des instants de bruyante gaîté. Sa voix n’aurait pas été désagréable si elle eût chanté simplement, mais elle l’enlaidissait de tout son pouvoir en essayant de la rendre plus précieuse. De plus elle déformait les mots sans souci de leur sens véritable, et cela accouplait parfois des phrases si disparates que nos rires partaient sans retenue.

Le jour où elle chanta une romance que tout le monde connaissait :

Selon moi, vois-tu, c’est l’indifférence
    Qui blesse le cœur et le fait souffrir.

Elle lança en toute tranquillité :

Seule dans ma voiture, c’est la différence
   Qui blesse le cœur et le fait s’ouvrir.

Duretour alors fut prise d’un rire si fou qu’elle glissa de son tabouret sous la table. Et tandis que Bergeounette s’étranglait contre la vitre, Bouledogue renversée en arrière riait à en demander grâce.

Le patron fit taire Roberte qui continuait sa chanson :

— Dites un peu… Eh… Vous chanterez quand le travail sera moins pressé.

Peu après, Bergeounette fit entendre une romance pleine de mélancolie dont chaque couplet se terminait ainsi :

Que les beaux jours sont courts,
    Que les beaux jours sont courts.