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les cent pas sur le trottoir en attendant son réveil.

Quand Duretour n’avait rien de nouveau à nous apprendre, elle collait son front contre la vitre. Mais son attention ne s’arrêtait pas sur les passants ni sur l’étendue du ciel au-dessus des toits. Elle ne s’intéressait qu’aux enterrements, qui défilaient tout le long du jour dans l’avenue du Maine.

Dès qu’elle apercevait le corbillard des pauvres, tout mince et léger qui avançait vite en sautant d’un air maladroit sur les pavés, elle disait :

— Ha ! voilà la sauterelle.

Mais lorsque un corbillard tout alourdi de panaches et de fleurs montait lentement l’avenue, elle gonflait ses joues, pour dire avec un respect exagéré :

— Ça, c’est un gros mort.

Elle essayait aussi de faire des signes aux maçons d’en face, mais ils ne prenaient plus le temps de regarder l’atelier. La pluie les mouillait sans discontinuer, et leurs ceintures rouges et bleues disparaissaient sous les sacs à plâtre qu’ils s’attachaient aux épaules.

C’était à leur tour d’être pressés. Les truelles puisaient sans arrêt dans les auges pleines de mortier ; et les pierres s’ajoutaient et augmentaient rapidement la hauteur des murs.

Les tombereaux déversaient toujours la meulière et le sable sur le trottoir, mais maintenant les pierres roulaient dans la boue avec un bruit sourd, et le vent d’hiver nous empêchait d’entendre le glissement soyeux et frais du sable.