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L’ouvrage commencé qu’elle traînait avec elle n’avançait guère. Elle s’occupait surtout à regarder par la fenêtre, et toujours elle descendait à l’heure où le manchot passait.

Je me trouvais si bien dans l’atelier que j’en oubliais les soucis du chômage.

Tout comme Bergeounette, j’apportai mon linge à réparer. C’était du linge sans dentelles ni garnitures, dont elle se moquait, et qui lui faisait dire :

— Cela ne vaut pas la peine d’être raccommodé. Vous reprisez ici et ça se déchire là.

Comme elle aussi, je m’approchais souvent de la fenêtre et elle s’étonnait de voir mon regard s’en aller par-dessus les toits au lieu de se fixer sur les gens qui passaient dans l’avenue. Elle levait un doigt vers le ciel et me disait malicieusement :

— Ce n’est pas de là-haut qu’il viendra.

Parfois j’apportais un livre enveloppé dans le même papier que mon pain du goûter. Le patron le feuilletait et me le rendait très vite, avec un ton de gronderie :

— Vous avez la passion de la lecture, hé ?

Ce reproche m’avait été adressé si souvent déjà que j’avais pris l’habitude de m’excuser en répondant que je lisais seulement à temps perdu, ou pendant la nuit, lorsque je ne dormais pas.

Malgré le manque de travail, Bergeounette gardait ses joues pleines, et son goûter était aussi copieux que par le passé.

Par contre je me sentais très déprimée. Mes joues se creusaient à l’endroit des mâchoires et