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tique déjà peu éclairée où je m’alignais avec les autres stoppeuses, des hommes de tous âges s’arrêtaient à chaque instant. Certains d’entre eux s’approchaient si près et restaient si longtemps à barrer le jour, qu’il m’arriva de ne plus voir la trame des fils et d’embrouiller mes reprises. Et malgré mon désir de bien faire, je dus partir pour ne plus entendre les reproches de la patronne.

Lasse de chercher à m’employer selon mes capacités, je me décidai à entrer dans une maison que venait de quitter ma vieille voisine. Mlle  Herminie. Il s’agissait de coudre des bandes de cuir et de flanelle sur des rouleaux servant à l’imprimerie. C’était un dur travail qu’il fallait faire debout et qui n’avait pas mis trois mois à rendre bossue Mlle  Herminie. Je l’abandonnai à la fin de la première semaine, car je sentis que je deviendrais bossue aussi.

Sandrine, que je rencontrais souvent dans la rue, m’engagea à venir passer mon temps à l’atelier au lieu de rester seule chez moi.

J’y retrouvai Bergeounette qui n’avait pas cessé d’y venir. Son mari ne voulait pas la nourrir ni la supporter sans rien faire au logis ; et, à chaque chômage, c’était entre eux des batailles sans fin.

Elle était forte et hardie, et ne craignait pas de se battre avec lui. Mais elle recevait par-ci par-là un mauvais coup qui la laissait peureuse et tremblante. Aussi pour éviter les disputes, elle faisait semblant de travailler une partie de la journée.