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Bouledogue et le patron se chamaillaient, ou bien Bergeounette se plaignait de la vie insupportable qu’elle menait dans son ménage.

Les plaintes de Bergeounette avaient toujours quelque chose de si comique que personne ne la prenait en pitié. Même le matin où elle était arrivée avec un œil meurtri et une joue saignante, tout le monde s’était mis à rire en lui voyant prendre un air drôlement triste pour dire :

— Si mon mari ne me battait pas, je serais la plus heureuse des femmes.

À coudre tranquillement sous la lampe, elle finissait par oublier ses ennuis, et les veillées ne s’achevaient pas sans qu’elle ait longuement parlé de la mer et de sa Bretagne.

Elle répétait souvent les mêmes choses, mais on ne se lassait pas de les entendre, et c’était comme si elle eût recommencé une très belle chanson, lorsqu’elle disait :

— La mer est comme un être aveugle et sourd dont la puissance et la force n’auraient pas de limites. Elle hurle, elle frappe, elle broie, et ses vagues lancées comme des cavaliers fous le long des côtes, les déchirent et les émiettent sans fin.

Bouledogue grondait avec un peu de crainte.

— C’est une mauvaise bête que la mer.

Mais Bergeounette reprenait vite :

— Il y a des jours où elle est si paisible et si molle qu’on a envie de s’étendre sur elle pour dormir longtemps.

Puis, sans qu’on sache pourquoi, elle se met