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ne pus supporter sa face implorante, et d’un rapide mouvement je lui passai mon porte-monnaie contenant quelques francs. Elle s’éloigna aussitôt ; mais au lieu de sortir par la porte habituelle, elle traversa la pièce de coupe où je l’entendis s’arrêter l’espace de quelques secondes.

J’y entrai après elle et je me disposais à demander à Mme Dalignac de bien vouloir payer le repas que nous prenions ensemble au restaurant, lorsqu’elle me dit :

— Vous paierez pour moi aujourd’hui, car je n’ai pas le sou.

Le mouvement d’inquiétude qui m’échappa la fit me regarder plus attentivement. Je rougis alors et elle aussi. Nos regards restèrent en contact, puis comme si une vive lumière éclairait brusquement le chemin que venaient de prendre nos deux porte-monnaie, un rire violent nous saisit. Ce fut comme une vague de gaîté qui nous jeta de droite et de gauche. Le rire si clair, si léger de Mme Dalignac s’élançait et s’éparpillait pendant que le mien large et sonore le suivait et l’accompagnait partout.

Notre déjeuner se composa de rires et de pain sec ce jour-là. Et la mendiante qui gardait au retour l’air triste des gens qui ont faim put croire en nous voyant si gaies que nos mets avaient été copieux et choisis.


Les après-midi de dimanche, lorsque Mme Dalignac était libre je l’entraînais au jardin du Luxem-