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mot blessant qui fit brusquement fermer la bouche et détourner les yeux.

J’en restai mécontente et froissée et, le lendemain, en apercevant le jeune nègre, j’éprouvai un remords, comme si ce fût moi qui l’eût offensé.

Il ne m’adressa pas de sourire, quoique je fusse seule. Une tristesse mettait comme un voile très doux sur ses prunelles noires, et en passant très près il me dit :

— J’ai du sang rouge aussi ; et mes mains ne sont pas sales.


J’avais une nouvelle amie. Peut-être était-elle déjà dans ma chambre du temps de Mlle Herminie, mais je ne l’avais remarquée qu’après son départ. C’était une mouche. Une toute petite mouche, propre, fine, vive et confiante. Dès que le poêle était allumé, elle sortait de sa cachette et faisait entendre sa musique. Je lui parlais :

— Bonsoir, petite mouche.

Elle volait de ma tête à mes mains, ou bien elle tournait sans se lasser autour de la lampe.

Mais, c’était surtout pendant le repas qu’elle me tenait compagnie. Tout ce qui était sur la table servait à son amusement. Elle franchissait le verre d’eau, escaladait le pain, et se tenait en équilibre sur les pointes de la fourchette. Elle dédaignait les miettes que je disposais de place en place pour elle, et préférait chercher sur la nappe des choses à son goût. Parfois elle venait s’assurer de ce qu’il y avait dans mon assiette. Elle