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quantités de mets inconnus de nous. Et lorsque, le lundi, Bergeounette lui demandait comme autrefois :

— Qu’avez-vous mangé de bon hier ?

Elle répondait toujours comme pour aller plus vite :

— Une poularde en cocotte.

Mais si elle ne prenait plus le temps de causer elle se rattrapait sur les refrains de café-concert. Et tout en cousant les étiquettes au col des vêtements elle chantait en trémolo :

Paris, Paris,
Paradis de la femme…


Mme Dalignac n’allait à la maison Quibu que pour présenter ses modèles et en fixer le prix. Elle m’emmenait pour avoir plus d’aplomb, mais ma présence n’empêchait pas le marchand de diminuer les prix d’un quart, quand ce n’était pas de moitié, et Mme Dalignac, incapable de défendre ses intérêts plus de cinq minutes, se soumettait, prête à pleurer d’impuissance. Elle enviait les autres entrepreneuses qui bataillaient, criaient et s’en allaient ayant presque toujours obtenu ce qu’elles désiraient. L’une d’elles, surtout, discutait âprement avec des mots à côté du sujet. Et rouge, hors d’haleine, finissait toujours par dire au marchand :

— Vous n’avez que la peine de vendre, ici.

Pendant les heures d’attente les entrepreneuses causaient entre elles. Les plus hardies dénigraient