Page:Audoux - L Atelier de Marie Claire.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je m’y attendais, ils ne parlèrent que de la vigne.

Le vieux aussi l’aimait. Toute sa vie s’était passée à la cultiver et à l’embellir. Seule la vieillesse, en lui prenant ses forces, l’avait obligé au repos. Mais il ne pouvait s’en séparer. Depuis qu’elle était malade, il la visitait chaque jour avec une grande pitié. Au début il lui arrachait par-ci par-là une mauvaise feuille sans trop croire à la gravité de son mal, mais aujourd’hui, il voyait bien qu’elle allait mourir :

— Tant, et tant de bon vin qu’elle a donné, dit-il.

Et sa bouche resta ouverte comme pour laisser passer un long regret.

Il tourna la tête vers le chaume d’en haut, et lorsqu’il ramena son regard sur la vigne, il dit d’un ton résigné :

— C’est peut-être qu’elle est trop vieille, elle aussi.

Il nous quitta pour redescendre le sentier. Il était si courbé que son front touchait les sarments aux passages. Et derrière lui un jeune gars aux bras solides monta le même sentier avec une brouette chargée de ceps morts qu’il balança et déversa d’un seul coup au creux du fossé.

Mlle Herminie ne parlait plus, elle tenait les yeux fixés sur trois gros ormes mal tournés qu’on voyait au loin et qui faisaient penser à trois vieillards rapprochant leurs têtes pour se confier un secret.