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« Tu me fais honte. »

Elle grandit pourtant, et avec ses dix-huit ans, la force qui poussait en elle éloignait la crainte que lui inspirait sa mère, et il lui arrivait de rapporter à la maison des airs appris à l’atelier. — Elle cessait vite sous les sarcasmes : « Tu chantes pour attirer les amoureux. »

« Non, je chante parce que je suis gaie. »

Gaie ! Comment osait-elle être gaie avec la honte qu’elle traînait après elle.

Mais, voilà qu’un dimanche, en regardant s’épanouir le printemps, la jeune fille avait oublié la honte dont parlait sa mère, et brusquement elle s’était mise à rire. Tout d’abord elle ne sut pas pourquoi elle riait, puis en entendant résonner ce son clair, elle ne le reconnut pas comme son propre bien. Elle crut qu’il venait du dehors comme les hirondelles qui entraient par une fenêtre et ressortaient par l’autre, mais l’instant d’après, elle comprit que le rire était surtout entré pour faire du bruit, car il se haussa, s’étendit et résonna aux quatre coins de la maison.

Il n’alla pas plus loin. Un choc, rapide comme la foudre, s’abattit sur lui et le tua.

— Ce fut ma dernière étape de souffrance, nous dit Mme  Dalignac en relevant un peu plus son doux visage.

Elle fit une pause comme si elle prenait le temps de fermer une porte qui n’aurait pas dû être ouverte et elle ajouta :