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— Il ne voit donc pas que je suis au bout de mon rouleau.

Je le laissais dire et riais avec lui. Tandis que je cousais près de son lit, il me parlait de sa femme. Tout ce qu’il avait à dire sur elle était à sa louange, et si la souffrance venait à lui couper la parole en lui rappelant que la mort était proche, il ne s’en effrayait pas, et me répétait ce qu’il m’avait déjà dit cent fois :

— Avec elle, j’ai eu ma part de bonheur.

À la suite d’une permission de Clément il oublia un peu sa femme pour me parler de mon futur mariage. Il m’en parlait avec des phrases espacées qui n’exigeaient pas de réponse :

— À vivre seul on vit sans joie.

Il laissait passer du silence et reprenait :

— On ne peut pas vivre sans joie.

Mais un jour que sa fièvre était plus forte, il dit soudain :

— Il n’a que de l’orgueil.

J’attendis, ne sachant pas s’il parlait toujours de Clément. Et comme je levai la tête, il dit encore :

— Vous ne pourrez pas être heureuse avec lui.

Tout son corps affaissé semblait céder au sommeil, pourtant il reprit de la même voix sourde et affaiblie :

— Son cœur est comme un chemin brûlé où on ne rencontre ni source ni ombrage.

Dans le bruit et l’éloignement Mme  Dalignac n’avait certainement pas pu entendre, et je ne compris pas pourquoi elle entra si vite dans la