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pour prendre goût au jardin du Luxembourg. J’y vivais dans une sorte d’enchantement qui me faisait oublier le patron et ses bouderies.

J’imaginais que le jardin voguait dans l’espace, et que ses grilles aux lances dorées n’étaient là que pour en maintenir les bords.

Très hautes parmi les arbres, les reines, toutes blanches sur leur piédestal, me faisaient penser à des anges prêts à s’envoler. Et dans le lointain les tours de Saint-Sulpice dont on n’apercevait que le faîte, semblaient placées dans le ciel comme des reposoirs.

Les bruits de la ville n’arrivaient pas jusqu’à nous, et le vent qui passait dans les feuilles était doux à entendre comme un froissement de soie.

À tout instant dans ma mémoire la voix de Bergeounette chantait la chanson du Paradis terrestre :


    Dans un jardin délicieux,
      Tout près des cieux…

Par delà les allées, lorsqu’un groupe d’enfants vêtus de couleurs claires passaient en courant, je croyais voir des touffes de fleurs échappées aux plates-bandes et s’enfuyant vers les sous-bois.

Sur les bancs et sur les chaises, des couples restaient inactifs et silencieux, comme écrasés de bonheur.

D’autres couples, très jeunes, très graves et le regard fixé en avant, s’en allaient à pas pressés vers la pépinière.