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XII

Depuis le jour où Clément était entré dans ma petite chambre, ma vieille voisine semblait avoir oublié les vignes de son pays pour ne plus se souvenir que de son amour malheureux. Elle en parlait comme d’une histoire récente, et quand il m’arrivait de la regarder par hasard, j’étais toujours étonnée de la trouver vieille.

Elle ne se rappelait absolument rien de son enfance. Toutes ses peines et toutes ses joies dataient de ses dix-huit ans, comme si la vie n’eût vraiment commencé pour elle qu’à cet âge.

C’était à ce moment-là que l’amour était entré dans son cœur. Il y était entré si profondément que rien n’avait pu l’en chasser et que je l’apercevais comme un feu mystérieux qui la réchauffait sans cesse et empêchait ses lèvres de se flétrir.

Tout au début de ses confidences, elle avait mis un peu d’amertume dans son accent, pour dire : « Il nous voyait si coquettement vêtues, ma sœur et moi, qu’il s’imagina que nous étions riches ; mais quand il sut que nos parents ne nous donneraient pas même une livre d’or en