Page:Audoux - L Atelier de Marie Claire.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Parmi les nouvelles ouvrières, il y avait Gabielle. Elle prononçait ainsi son nom, et personne ne songeait à l’appeler Gabrielle. C’était une grande et belle fille qui riait de tout et qui menait sa machine tambour battant. Elle avait la peau épaisse et un gros nez, mais ses dents étaient si blanches et ses lèvres si fraîches qu’on oubliait vite le reste du visage. Elle gardait les bras nus jusqu’aux coudes et son corsage s’ouvrait toujours à la poitrine.

Elle arrivait des Ardennes, et n’avait pas beaucoup plus de dix-huit ans.

Elle venait de quitter ses parents à la suite d’une scène qui la faisait rire aux larmes chaque fois qu’elle en parlait.

Ils avaient voulu la marier à un voisin qu’elle n’aimait pas et chacun d’eux en la prenant à part espérait la décider. Mais voilà qu’un dimanche son père et sa mère s’étaient mis à lui parler tous deux ensemble ; sa mère vantait les qualités du fiancé et prédisait un bonheur tout pareil à celui qu’elle possédait elle-même depuis son mariage. Et comme Gabielle s’entêtait à répondre qu’elle n’aimait pas le voisin, son père lui avait dit en l’embrassant : « Cela ne fait rien, ma petite fille. Tiens ! Vois-tu, moi j’ai épousé ta mère parce qu’elle était sage et qu’elle avait un peu d’argent, mais je ne l’aimais pas. » Aussitôt Gabielle avait vu sa mère se dresser contre son père en criant : « Ha ! Tu ne m’aimais pas ? »

Et elle l’avait vu se retourner d’un seul coup