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Quand nous n’avions rien à dire et que nous étions lasses du silence, ma vieille voisine m’obligeait à lui chanter l’une des plus jolies romances de Bergeounette :

Un beau navire à la riche carène…

Je la chantais très bas, pour nous deux seulement. Mlle  Herminie reprenait avec moi au refrain :

Si tu le vois, dis-lui que je l’adore.

Sa voix fine et tremblante ne dépassait pas la fenêtre.

Parfois les soirées s’allongeaient. C’était lorsque chacune de nous parlait de son pays.

Mlle  Herminie parlait du sien comme d’une chose bien à elle et qu’elle aurait dû posséder toute sa vie.

Sa voix prenait de la force pour nommer les bourgs et les villages tout entourés de vignes et qu’on découvrait à perte de vue du haut de la côte Saint-Jacques. Elle n’avait pas oublié le bruit des pressoirs ni l’odeur du vin nouveau qui se répandait dans toute la ville à l’époque des vendanges. Elle gardait aussi un souvenir gai des bruyantes disputes des vendangeurs :

— Oh ! disait-elle. Chez nous les garçons se battent d’abord, ensuite ils s’expliquent, et tout s’arrange.

Elle n’était pas retournée dans son pays depuis qu’elle l’avait quitté. Mais son plus grand désir était de le revoir. Souvent elle me disait :