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comptes, je m’étonnai de la grande quantité de notes qui n’avaient pas été payées depuis plusieurs années. Pourtant, les mêmes clientes continuaient à se faire habiller à la maison. Quelques-unes étaient même très exigeantes et ne payaient les nouvelles façons que par petites sommes espacées.

Je fis le compte des sommes perdues ainsi, et je ne pus retenir un accent de reproche, en disant :

— Cet argent vous serait très utile en ce moment, il permettrait à votre mari de se reposer longtemps et peut-être de guérir pour toujours.

Ses yeux s’agrandirent et devinrent très attentifs. Elle fixa le vide comme si elle apercevait brusquement un chemin facile pour arriver plus vite au but, mais bientôt ses paupières s’abaissèrent, sa bouche et son menton eurent un petit frémissement comme lorsqu’on a envie de rire et de pleurer tout à la fois, puis elle courba la tête et dit avec une grande honte :

— Je n’ai jamais su réclamer mon dû.

Une immense pitié me vint pour elle. J’eus honte à mon tour de l’avoir obligée à s’humilier, et je repoussai le livre de comptes avec colère, comme si ce fût lui qui eût adressé le reproche.


L’idée de quitter Paris était insupportable au patron. Il regardait sans cesse les balcons de la maison neuve que le soleil éclairait et chauffait. Celui du milieu surtout attirait son attention. Il