pour la plupart, ayant passé une partie de sa jeunesse au côté de son père qui faisait alors ces mêmes tournées comme musicien, et qui, étant veuf, n’avait jamais voulu se séparer de son enfant. Il parle comme un homme un peu ivre, sautant d’un fait à l’autre, et s’embrouillant dans les dates autant que dans le nom des villes. Mais Églantine cesse bientôt de l’entendre. Elle regarde cette main dont les doigts repliés frappent impatiemment la carte. Ces doigts d’organiste, presque cornés du bout, font sur le papier glacé un bruit dur qu’elle voudrait faire cesser. Cette main, qui s’ouvre et se ferme, lui paraît être un nouvel obstacle entre elle et Noël. Elle voudrait consulter longuement la carte et tâcher de découvrir l’endroit où il a bien pu se fixer, mais la main est toujours là, ainsi qu’une menace. Excédée, elle fait un geste pour la repousser, tandis que de ses yeux deux larmes s’évadent et se répandent. À ce geste, l’animation de Jacques s’éteint. Il cesse de parler et replie la carte qu’il va ranger dans le tiroir d’où il l’a tirée. Quand il revient, Églantine a le front appuyé sur la table. Il voit sa nuque trop mince courbée par le chagrin. Il voit ce corps qui s’abandonne. Il entend le son brisé des san-
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