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jeune homme au point de ne désirer plus rien lorsqu’il sera là.

Firmin est enchanté du mariage d’Angèle, et pour y faire honneur, il parle d’acheter à crédit un vêtement de couleur claire et des souliers vernis.

Lui aussi a bien changé. C’est maintenant un jeune homme de taille moyenne, plus mince qu’il ne faudrait peut être, mais avec un visage bien ouvert et plein d’énergie. Sa grande affection pour nos parents n’a pas diminué. Il les excuse sans réserve et ne me permet pas le plus petit reproche à leur endroit. Pourtant ils ne sont jamais revenus au moulin depuis le dimanche où ils m’ont confié les jumeaux, et nous ne connaissons rien de leur vie nouvelle. Nous savons seulement que notre père s’est remarié avec une jeune fille, et notre mère avec un comptable de la maison de soierie où elle est employée. Les lettres espacées et courtes que nous recevons d’eux, ont l’air d’avoir été écrites en hâte et comme forcées. Et s’ils s’inquiètent peu de ce que nous devenons, ils ne parlent jamais d’eux-mêmes, ni de ceux qui les entourent.

Par contre, depuis plus d’un an les lettres du comptable, mari de notre mère, sont fréquentes et très détaillées. Il a d’abord réclamé un prix de location pour la maison, le jardin et le pré, me rappelant que ces trois choses appartenaient à sa femme par droit d’héritage et qu’il était tout naturel qu’elle en tirât profit. Ne recevant pas d’argent il a réclamé de la volaille, des œufs ou des légumes, s’en rapportant à moi pour faire ces envois aussi réguliers que possible.