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V


Depuis ma venue au moulin dans une voiture d’infirme six années ont passé. J’ai vingt ans ; ma santé est parfaite et tous les travaux des champ me sont familiers.

Ma petite ferme n’a guère prospéré malgré mes soins constants, et nous vivons chichement, les jumeaux et moi, du seul produit de mon travail, mes parents ayant supprimé le peu d’aide qu’ils m’apportaient du jour où Angèle et Firmin furent placés à la ville.

Par bonheur les jumeaux sont intelligents et forts. Contents aussi de voir approcher le moment où ils pourront gagner chacun leur vie. Nicole qui brode et coud avec application entre ses heures de classe, veut être lingère comme Angèle, et Nicolas qui s’essaye à tailler la meule au moulin, compte bien devenir meunier comme notre oncle dont il aime le métier par dessus tout. Hier, en me montrant ses doigts où de petits éclats de silex s’étaient logés sous la peau, il m’a dit avec fierté :

« Vois donc, Annette, j’ai déjà des mains de vieux meunier. »