Plic, ploc, faisait l’eau qui dansait et rejaillissait de tous côtés. La farine ne faisait pas de bruit ; elle se défendait seulement contre l’eau et contre moi, et, pour essayer de nous échapper, elle se tassait dans les coins ou bien elle sautait en l’air et s’envolait en nuage. Elle cédait peu à peu pourtant comme si elle prenait goût au jeu ; le mélange s’opérait et bientôt la pâte blanche et mouvante s’allongeait d’un bout à l’autre du pétrin.
C’était alors qu’elle me paraissait être une chose vivante et intelligente, et qu’il me semblait l’entendre rire et dire : « À nous deux, Annette Beaubois ! » À ce moment toute fatigue disparaissait de mes épaules. Assez mal d’aplomb sur mes hanches à cause de mon infirmité, je me penchais cependant et me relevais sans effort. La pâte glissait de mes bras et retombait avec un bruit sourd et plein, elle se gonflait ou s’affaissait en se balançant de telle sorte que je craignais souvent de la voir sortir du pétrin. Parfois, comme pour me taquiner, elle fusait et m’envoyait en pleine figure une volée de gouttes épaisses qui me faisaient reculer brusquement ; mais comme, dans le même instant, je m’apercevais qu’il m’était impossible de m’essuyer le visage, je riais et replongeais mes bras dans la pâte qui s’épaississait de plus en plus. Quand enfin elle était devenue lourde et comme endormie, je la laissais et j’allais chercher les corbeilles d’osier dans lesquelles je la déposais par morceaux. « Vois-tu, m’avait dit tante Rude, quand ta pâte est à point, tu la prends et l’enroules à tes bras, comme ceci, et d’un seul coup tu la renverses dans la corbeille. »