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sentiments, nous, les enfants ? Parce qu’ils allaient se séparer pour toujours comptaient-ils nous abandonner de même ? »

Ce fut dans cet état de violence que je regardai en face la responsabilité qui m’incombait. Elle me parut énorme et bien au-dessus de mes forces : « Jamais, jamais, quoique je fasse, je ne pourrais empêcher la misère et la maladie d’entrer chez nous ».

Et ces mots que je répétais à tout instant m’accablèrent d’un tel découragement, que je cessai tout travail et restai comme Angèle, pleurant et somnolant dans les coins les plus obscurs de la maison. Tante Rude cria contre moi comme elle seule savait crier, et oncle meunier dont le visage gardait un air soucieux me disait :

— Tu ne donnes pas bon exemple aux petits, tu sais, Annette.

Ma vivacité naturelle ne me permit pas de rester longtemps dans cet état d’engourdissement, mais lorsque j’en sortis, ce fut pour tomber dans un autre travers.

Après réflexion je décidai de quitter le moulin pour aller gagner ma vie ailleurs. De cette façon mes parents seraient bien obligés de s’occuper de leurs enfants. Ma mère reprendrait les jumeaux, Firmin irait vivre chez son père. Et puisqu’Angèle était malade, elle resterait à la garde de Manine jusqu’à sa guérison ainsi que je l’avais fait moi-même.

Et cette décision bien arrêtée j’allai en faire part à oncle meunier occupé à réparer une vieille voiture sous le hangar.